Francis Bacon en 5 oeuvres emblématiques

Publié le 13 Oct 2022

Qui était Francis Bacon ? L’un des peintres britanniques les plus célèbres nous a laissé une œuvre colossale qui inspire encore aujourd’hui plus d’un artiste. Hanté par un vers d’Eschyle : “l’odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux”, son esprit comme son œuvre seront le miroir d’angoisses humaines existentielles... Focus sur cet artiste torturé à travers 5 de ses œuvres les plus emblématiques !

La biographie de Francis Bacon

Né de parents anglais en 1909 à Dublin, Francis Bacon est décédé en 1992 à Madrid. Durant ses 82 années de vie, le peintre irlandais connaît une vie tourmentée. Affaibli par sa maladie asthmatique, il connaîtra également la douleur du rejet suite à l’annonce de son homosexualité auprès de sa famille. Son père, en particulier, ne l’acceptera pas.

Francis Bacon quitte donc le domicile familial en 1925, âgé de seulement 16 ans, puis erre en Europe  jusqu’à s’installer à Londres en 1928, où il travaille comme décorateur et designer. Sa première révélation picturale, il la doit à Picasso, dont il découvre le travail en 1927 lors de l’exposition “Cent dessins par Picasso” à la galerie Rosenberg.

Malgré sa participation à deux expositions collectives et une première Crucifixion qui tape à l'œil de l’historien d’art Herbert Read en 1933, Francis Bacon détruit la majorité de ses créations antérieures à 1944, année qui marque le début officiel de sa carrière. Sa première exposition solo prend place à la Hannover Gallery en 1949.

© Perry Ogden, Untitled from 7 Reece Mews : Francis Bacon's Studio. Photo © Sotheby's

À contre-courant de l’abstraction qui se forge une place dans les années 50, Francis Bacon est le peintre du corps, du corps torturé, surtout. Fortement inspiré par les grands maîtres (Vélasquez, Rembrandt, Cimabue…), mais aussi marqué par l’événement traumatique que sera la Seconde Guerre mondiale, il se forge un style caractérisé par la douleur, la déformation, le cri intérieur. Miroir de l’angoisse existentielle qu’est la condition humaine, mais aussi de sa propre dépression, son œuvre témoigne d’une certaine violence morbide. 

Son travail sera reconnu internationalement lorsqu’il est choisi pour représenter l’Angleterre lors de la Biennale de Venise en 1954. Francis Bacon développe ensuite ses études sous forme de triptyques, et une passion certaine pour le motif de la Crucifixion.

Ses amants sont tour à tour ses modèles, de Lucian Freud à George Dyer, en passant par Peter Lacy, ses amours, et même son atelier de peinture, sont tout aussi chaotiques que sa vie irriguée par l’alcoolisme. Il atteint la célébrité dans les années 80. D'artiste endetté auprès des galeristes à multimillionnaire, Francis Bacon ne connaîtra guère le repos !

"Je crois que l'homme aujourd'hui réalise qu'il est un accident, que son existence est futile et qu'il a à jouer un jeu insensé." 
Francis Bacon

 

Focus sur 5 oeuvres emblématiques de Francis Bacon 

© Francis Bacon, Étude du portrait du pape Innocent X d'après Velázquez, 1953

Étude du portrait du pape Innocent X d'après Velázquez, 1953

Francis Bacon était obsédé par le tableau de Vélasquez, Portrait du pape Innocent X de 1650, dont il disait « Il me hante, il libère toutes sortes de sentiments… et même de domaines de l’imagination en moi ». Il en peindra une série de 45 variantes

Dans cette version, Bacon l’a réinterprété, bouche hurlante, dans une cage dorée. Assis sur son trône, la figure de pouvoir, d’autorité et de sagesse qu’est le pape est bousculée par son approche picturale empreinte de violence. Le cri, la tension du corps et la fuite verticale des lignes laissent deviner une intense douleur, telle que celle procurée par une chaise électrique. 

Francis Bacon n’explicitera jamais clairement sa motivation, mais il se pourrait que sa sensibilité et sa lecture attentive du tableau original - dont il n’aurait vu qu’une reproduction photographique - lui aient permis de révéler une réalité latente dans la version de Vélasquez, celle d’un pape impuissant, colérique.

Le tableau se trouve au musée Des Moines Art Center, dans l'Iowa, aux Etats-Unis.

© Francis Bacon, Trois études pour une Crucifixion, 1962

Trois études pour une Crucifixion, 1962

Sa première Crucifixion provoque le scandale en 1945. Au sortir de la guerre, l’horreur des corps écorchés est encore vive, mais Francis Bacon n’hésite pas à peindre ces corps disloqués et éventrés. Grâce au format du triptyque, le peintre décompose également l’image. On retrouve ici le motif du sacré dépourvu de grandeur. La glorification du Christ doloriste laisse place au pénible spectacle de la chair éclatée sans but apparent. Les teintes chaudes, orangêatres, contrastent avec la froideur habituellement associée aux carcasses, et relient les trois panneaux. 

“Ce que j'aime le plus faire, ce sont les triptyques, et je pense que cela est peut-être lié au désir de tourner un film que j'ai parfois caressé. La juxtaposition d'images divisées sur trois toiles différentes m'intéresse. À condition de considérer que mon travail est de qualité, j'ai en général l'idée que ce sont peut-être les triptyques qui ont le plus d'importance”. 
Francis Bacon, 1979

Dans sa version de mars 1962, on retrouve dans le panneau de droite un corps crucifié, à gauche, deux hommes dans une boucherie - dont on ne sait si les morceaux sont humains ou animaux - et au centre, un corps convulsionné dans un lit. Pour Bacon, le lit est un symbole, le lieu où tout commence et tout finit, entre la naissance et la mort

C’est au Guggenheim Museum de New York que l’on peut contempler cette œuvre emblématique de Francis Bacon.

© Francis Bacon, Trois personnages dans une pièce, 1964

Trois personnages dans une pièce, 1964

Les trois personnages évoqués dans le titre de cette oeuvre de 1964 ne seraient en réalité qu’un, George Dyer, amant et modèle de Francis Bacon de 1963 à 1971. Il existe néanmoins une théorie selon laquelle l’homme du centre serait un autoportrait et celui de droite, Lucian Freud…

Décliné en trois corps nus, dans une pièce vide, le triptyque évoque une continuité disloquée. Dans chaque panneau, la courbe de la plateforme ne se poursuit pas précisément, laissant deviner la séparation. Bacon souhaitait ainsi conjurer le caractère figuratif, illustratif et narratif que le sujet aurait s’il n’était pas isolé.

Inspiré là encore par des oeuvres de maîtres, tels que L’Aurore de Michel Ange à la chapelle des Médicis ou le Penseur de Rodin, Bacon poursuit sa quête de la sensation à travers la représentation de la chair. 

En 1971, le tableau de droite, représentant George Dyer sur une cuvette de toilettes revêt tout à coup une dimension prémonitoire lorsque Francis Bacon découvre le corps de son amant mort, suicidé, assis sur le siège des toilettes de leur chambre d’hôtel à Paris. 

© Francis Bacon, Trois études de Lucian Freud, 1969

Trois études de Lucian Freud, 1969

Francis Bacon et Lucian Freud étaient amis, probablement amants, mais aussi des peintres rivaux de l’école de Londres. Trois études de Lucian Freud, peint en 1969, s’inscrit dans la série des triptyques représentant des portraits d’amis de Bacon. 

Dans les trois panneaux, Lucian Freud est représenté assis sur une chaise dont la structure évoque, encore une fois, une cage. Le sujet est comme pris au piège dans un environnement monochrome, abstrait, dénué de repères.

La teinte jaune de ce triptyque, plus vive, rejoint peut-être l’enthousiasme ressenti par le peintre à l’égard de son confrère, avant la dispute qui mettra fin à leur relation au début des années 80.

Selon l’historien Ben Street, cette œuvre serait même l’une des favorites de Bacon. Vendus séparément dans les années 70 - ce qui aurait déçu l’artiste qui a alors appelé à les réunir - les panneaux n’auraient été rassemblés qu’à la fin des années 80 par un collectionneur romain.

Adjugée pour la somme de 142,4 millions de dollars (105,9 millions d’euros) à un anonyme chez Christie’s, à New York, le triptyque détenait le record de l'œuvre d'art la plus chère du monde vendue aux enchères le 12 novembre 2013.

© Francis Bacon, Étude pour un autoportrait, triptyque, 1985-86

Étude pour un autoportrait, triptyque, 1985-86

Au seuil de sa mort et suite à celle de plusieurs de ses amis, Bacon examine les effets de l’âge et du temps dans son triptyque intitulé Étude pour un autoportrait. Ce tableau est considéré comme l’un des plus intimes de l’artiste, bien qu’il soit le moins expérimental, le plus apaisé. 

Après une vie tumultueuse, le peintre affirmait que la vieillesse et les affres de la célébrité l’avaient poussé à apprécier les choses simples, ce que l’on peut ressentir dans cette toile moins névrosée que les précédentes, par les tons beiges et une posture corporelle moins disloquée.

L’aversion de Bacon pour son propre visage se retrouve néanmoins dans son absence, son flou, car plus que toute autre chose, son altération est le reflet de notre condition humaine. Bacon citait alors Orphée, de Jean Cocteau : “Chaque jour dans le miroir, je regarde la mort au travail.”