Georgia O’Keeffe, la “mère du modernisme américain” en 5 oeuvres clés

Publié le 29 Jul 2023

Georgia O’Keeffe, peintre légendaire surnommée “la mère du modernisme américain”, a joué un rôle essentiel dans l'essor de l’art des Etats-Unis du 20e siècle. Cette femme fascinante, aussi introvertie que visionnaire, a fait de sa vie son oeuvre. Décédée à l’âge de 98 ans en 1986, elle a dédié son existence à la peinture. Une peintre hors-cadre et avant-gardiste, qui n’en a jamais eu que faire des carcans et de la pensée établie. En rejetant l’art purement figuratif et en s’émancipant de l’art européen, Georgia O’Keeffe établit ses propres règles, jouant avec les codes de l’abstraction

Connue pour ses peintures de fleurs en gros plans suggérant l’anatomie sexuelle féminine, celle qui est devenue un symbole féministe n’avait pourtant pas vocation à choquer. N’en déplaise à ses détracteurs, l’artiste souhaitait avant tout représenter la nature au prisme de ses sensations. Miroir de sa grande sensibilité et du regard contemplatif qu’elle portait sur le monde, ses quelque 900 toiles sont le témoignage de sa fascination pour la puissance du cosmos, du microcosme au macrocosme, et pour la vie, en ce qu’elle a d’abondant et d’annihilateur.  

Ses peintures sont la synthèse des paysages états-uniens qui l’ont inspirée, de son monde intérieur, et des questions posées à la peinture par l’émergence de la photographie. Pétales de fleurs flamboyantes, déserts arides, crânes et ossements de buffles, lumières divines et autres symboles habitent l’univers pictural de Georgia O’Keeffe, que l’on vous propose de découvrir dans cet article en 5 œuvres clés

Portrait de Georgia O’Keeffe par Alfred Stieglitz

Biographie de Georgia O'Keeffe

Née en 1887 dans une ferme du Wisconsin aux Etats-Unis, Georgia O’Keeffe est issue d’une famille nombreuse, paysanne, et modeste. Très tôt, elle s’intéresse à l’art, et s’inscrit à des cours de dessin dès ses 12 ans. En 1905, alors âgée de 17 ans, elle commence à fréquenter des instituts d’art prestigieux, à Chicago, puis à New York. 

Doutant de sa capacité à devenir une peintre figurative - et accessoirement gênée par l’odeur de la térébenthine - elle abandonne sa pratique artistique pendant plusieurs années. Sans diplôme, et sans moyens pour continuer à financer son éducation, elle enchaîne les missions ponctuelles dans la publicité et le dessin, tout en vivant dans la précarité durant 8 ans. C’est en fréquentant l’université de Virginie, où elle découvre le travail de l’artiste Arthur Wesley Dow, qu’elle s’éprend de nouveaux modes d’expression, plus libres. 

Petit à petit, elle aiguise son coup de crayon tout en enseignant le dessin dans une petite ville du Texas, où elle puise l’inspiration en visitant régulièrement le canyon de Palo Duro

En 1917, elle réalise sa première exposition solo à la galerie 291 d’Alfred Stieglitz, grâce à son amie photographe Anita Pollitzer qui y envoie ses croquis. Elle se marie avec Stieglitz en 1924. Naîtra alors une relation amoureuse passionnelle, et un soutien artistique mutuel. Georgia O’Keeffe devient sa muse - et l’artiste femme la plus photographiée. Elle rencontre également les artistes modernistes de son entourage ; sa voie est tracée. 

Georgia O'Keeffe and Alfred Stieglitz, Yale Collection of American Literature, Beinecke Rare Book and Manuscript Library

L’artiste en herbe s’adonne alors à la peinture à l’huile et s’inspire de formes naturelles en gros plans, frôlant l’abstraction, ainsi que des paysages urbains et des gratte-ciel. À partir de 1929, elle cherche et trouve l’inspiration au Nouveau-Mexique, quittant la familiarité de son Lake George. Séduite par l’aridité et la lumière de la région, elle achète en 1940 une propriété, le Ghost Ranch, et s’installe dans ce paysage quasi désertique qui laissera une empreinte indélébile sur son œuvre

Georgia O’Keeffe sitting down for supper, Ghost Ranch dining room. In the background is the potting shed, March 1975. © 2022 The Estate of photographer Dan Budnik. All Rights Reserved.

Petit à petit, l’artiste connaît une ascension internationale, couronnée de multiples commandes, prix et expositions. En 1943, Georgia O’Keeffe devient la première femme artiste à faire l’objet d’une rétrospective au MOMA à New York

Son mari Stieglitz décède d’un infarctus en 1946. Bien que n’entretenant plus qu’une relation distante, elle se trouve à ses côtés lors de sa mort. Après avoir dispersé ses cendres et fait l’inventaire de son immense collection d'œuvres d’art, Georgia O’Keeffe retourne au Nouveau-Mexique et peint dans son domaine. 

Presque éclipsée par les nouveaux courants artistiques des années 1960, elle revient sur le devant de la scène grâce à une exposition au Whitney Museum of American Art en 1970. Mais peu à peu, des troubles de la vision mettent à mal sa capacité de création. Elle produit alors de nombreuses œuvres au crayon et au fusain. 

La fin de sa vie est auréolée de distinctions : elle reçoit la médaille présidentielle de la Liberté ainsi que le National Medal of Arts. Elle donne son dernier souffle à Sante Fe en 1986, à l’âge de 98 ans. La ville lui consacre le Georgia O'Keeffe Museum, inauguré en 1997. 

Georgia O’Keeffe en 5 oeuvres-clés

Georgia O'Keeffe, Lake George (formerly Reflection Seascape), 1922

© Courtesy of The artist

Les éléments naturels n’ont jamais cessé d’inspirer Georgia O’Keeffe. Familière du lac George, elle l’a peint ici dans une atmosphère bleue profonde et sereine. Le reflet de la montagne dans l’eau crée une symétrie presque parfaite au sein du tableau, créant, comme à son habitude une vision abstraite d’un élément figuratif. L’économie des moyens en termes de lignes et de couleurs préfigure les recherches minimalistes de l'art américain.

Georgia O'Keeffe, The Lawrence Tree, 1929

© Courtesy of The artist

Georgia O’Keeffe avait l’habitude de passer ses étés au Lake George, entourée de la famille et des amis de son mari Alfred Stieglitz. Toutefois, en 1929, son désir de liberté et d’émancipation la poussa vers le Nouveau-Mexique, en compagnie de son amie Rebecca Strand. En quête d’inspiration, elle flâne jusqu’à découvrir le ranch de l’écrivain D. H. Lawrence. Ce lieu lui inspirera l’une de ses toiles les plus célèbres The Lawrence Tree. Ce sera le début d’une histoire d’amour bien connue avec ces terres arides.

Georgia O’Keeffe, Ram’s Head, White Hollyhock-Hills, 1935

© Courtesy of The artist

Tout au long de sa carrière, les œuvres de Georgia O’Keeffe ont porté l’empreinte de sa nation, les Etats-Unis. Amoureuse de son pays, l’artiste souhaitait créer un art proprement américain, détaché des pratiques européennes. C’est en ce sens que l’on retrouve dans ses tableaux des symboles de l’Amérique. Fortement imprégnée par son environnement, Georgia O’Keeffe peint la flore locale, les ossements d’animaux sauvages échoués dans les alentours de son ranch ou les déserts arides du Nouveau Mexique. Ram’s Head, White Hollyhock-Hills est la symbiose de tous ces éléments. 


« C’est primordial de sentir l’Amérique, de vivre l’Amérique, d’aimer l’Amérique, avant de se mettre au travail […], je crois que j’ai réalisé quelque chose de plutôt unique en mon temps et que je suis une des rares à avoir donné un à mon pays une voix qui lui est propre »
Georgia O’Keeffe, vers 1970

Georgia O’Keeffe, Jimson Weed/White Flower No. 1, 1936

© Courtesy of The artist

Jimson Weed/White Flower No. 1 fait partie de la série des fleurs chères à Georgia O’Keeffe. L'artiste a peint un datura (ou "herbe du diable") à la demande d’Elizabeth Arden, qui souhaitait décorer le spa de sa société de cosmétique. Cette fleur possède des alcaloïdes qui, ingérés à haute dose, peuvent créer des délires intenses à l'issue fatale. L'association de la beauté et de la vie à la notion de mort traverse ainsi toute l'œuvre de Georgia O'Keeffe. 

S'il figure parmi les 5 œuvres-clés de l’artiste, c’est toutefois car ce tableau a battu un record mondial : celui du prix le plus élevé lors d’une vente aux enchères pour une artiste féminine. Estimé à 15 millions de dollars, il sera vendu à 44,4 millions lors d’une vente aux enchères à New York, en 2014. De manière posthume comme durant sa carrière, Georgia O'Keeffe a plus d'une fois fait bouger les lignes en s'imposant en tant qu'artiste féminine dans un monde artistique qui ne leur laissait que peu de place.

Georgia O’Keeffe, Series I White & Blue Flower Shapes, 1919

© Courtesy of The artist

L'une des toiles les plus célèbres de Georgia O'Keeffe est Series I White & Blue Flower Shapes. Fascinée par la beauté et la fragilité des fleurs, l’artiste en a fait l’un de ses sujets phares, ce qui l’a rendue aussi célèbre que controversée.

Loin des natures mortes européennes, ses fleurs interrogent notre regard. Inspirée de la technique d’agrandissement photographique appelée Blow Up, Georgia O’Keeffe nous plonge dans une fleur dont l’échelle la rend abstraite, mais suggestive, comme ici, dans Series I White & Blue Flower Shapes.

En effet, ses pavots, camélias et autres roses, ont choqué son premier public. Les critiques d’arts, principalement des hommes, y ont immédiatement vu une analogie vulvaire. Cette interprétation s’explique au prisme de l’émergence de la pensée freudienne. Ainsi, la dimension érotique des toiles incarneraient l’acception réductrice selon laquelle une femme “voit le monde à travers son utérus”.

Georgia O’Keeffe réfuta cette théorie jusqu’au bout, niant tout analogisme sexuel. Cette vision de son œuvre la vexera jusqu’à l’auto-censure, la poussant à délaisser ses fleurs adorées au profit du paysage. Alors, est-ce un réel malentendu, un déni de la part de l’artiste ou le refus d’entrer dans une case ? La question reste entière, mais cette iconographie florale aura contribué à faire entrer Georgia O’Keeffe dans la légende

Cover © Georgia O'Keeffe à l’extérieur de son atelier, Abiquiu, Nouveau-Mexique,1960, image de Tony Vaccaro/Getty Images.

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