Interview de l’artiste pixel art Nicolas Jesbac

Publié le 05 Mar 2024

Rigueur et méticulosité n’effraient pas Nicolas Jesbac, car de la discipline sportive au pixel art, il n’y a qu’un pas. 

 

Le jeune artiste et joueur de badminton crée des œuvres constituées de milliers de petits carrés, des “pixels” sortis de la sphère digitale pour occuper l’espace de la toile. En réalisant ce pont entre monde virtuel et monde physique, Nicolas Jesbac interroge notre rapport à l’identité, au réel, à la censure. Il redonne au geste artistique humain son importance et joue avec le regard de ses spectateurs.rices.


Découvrez l’univers tout en pixels de l’artiste pointilliste contemporain Nicolas Jesbac !

Comment es-tu devenu artiste ?

 
Depuis petit, je dessine et je peins. J’ai commencé le badminton au lycée, mon sport de prédilection et de profession. Ces deux voies s’offraient à moi. Le domaine du sport était en quelque sorte tracé, tandis que celui de l’art était plus incertain. J’ai finalement décidé d’intégrer une faculté d’art en 2015, où je suis tombé amoureux des cours d’art, sous tous leurs aspects : philosophiques, théoriques, pratiques… J’ai vraiment aimé mes études. J’ai su dès la première année que je voudrais être artiste : pratiquer, vivre de mon art, partager avec d’autres artistes et galeries.

 

En 2020, j’ai obtenu mon diplôme en Arts plastiques et création contemporaine à la Sorbonne. Nous étions en pleine crise du secteur culturel du fait de la pandémie, la sortie a donc été très difficile. Avec des amis, nous avons lancé une association artistique d’entraide afin de créer un réseau et du lien entre différents acteurs du milieu artistique (galeristes, cinéastes, danseurs…). Aujourd’hui, je suis éducateur sportif et artiste à la fois. 

 

De quelle manière retrouve-t-on ta passion pour le sport dans ton art ? 

 

On retrouve le sport de manière indirecte dans mon art vis à vis de la discipline que cela exige. Le pixel art exige la création de carrés et de lignes très répétitives. C’est un travail contraignant et laborieux. Par exemple, je travaille actuellement sur une toile comportant 14 000 pixels, que je dois placer à la main, un à un.

 

Cela peut paraître effrayant, mais c’est un geste dont j’ai l’habitude, car dans ma formation de badminton, j’ai été amené à répéter une même frappe durant des heures sans me lasser. D'ailleurs, c’est quelque chose qu’on ne sait pas forcément, mais Yves Klein était un judoka champion du monde. On retrouve la spiritualité dans l’art du judo comme dans sa peinture. Son parcours m’a beaucoup intéressé.

Nicolas Jesbac, Wodaabe, 2022

Quelle est ta définition du pixel art ? 

 

C’est un sujet que j’ai amplement étudié dans mon sujet de mémoire “Du pixel numérique au pixel pictural”. Je me suis notamment intéressé à ce que faisaient les pixel pointers, soit les créateurs des premiers jeux vidéos, afin de comprendre leurs règles et les frontières du pixel art. J’ai trouvé ces éléments de définition du pixel art : 

  • L’importance visuelle du pixel : il doit être visible et constituer réellement l’image

  • L’harmonie : un pixel seul n’est un carré, mais une multitude de pixels forment une image

  • Un fonctionnement par grille : à l’inverse d’une mosaïque où des courbes sont possibles, le pixel art nécessite une géométrie par grille 

  • La répétition : du geste, de la forme ou de la couleur, dans mon cas il s’agit de points de peinture, mais pour d’autres cela peut être du bois, des cylindres, des légos… 

 

Pourquoi avoir choisi la peinture ?

 
Ce qui m’intéressait était le principe du voyage entre digital et numérique. Le fait que le pixel art soit initialement digital et qu’il soit réhabilité en peinture est une forme de revanche et de retour au “classique”, de la même manière que la peinture a pu être poussée vers l'hyperréalisme pour mimer et contrer en quelque sorte l’avènement de la photographie. 

 

Je souhaite conserver un aspect simplifié du pixel art, qui a été popularisé par les premiers jeux vidéo. J’aime la tension entre l’ancien et le nouveau, et selon moi, le pixel art répond à la question : qu’est-ce qui serait une peinture du 21ème siècle, comment continuer à innover en peinture ? 


Peut-on dire que tu fais du “pointillisme contemporain” ?


Je l’ai souvent entendu, et il est possible en effet de retrouver du pointillisme à travers la répétition du geste de la couleur, du mélange de couleurs pour faire apparaître d’autres couleurs et d’autres formes. Le concept de grille n’y est pas, mais le pixel art partage la connaissance des couleurs du pointillisme.


Durant mes études, j’ai contacté des artistes de pixel art afin d’échanger avec eux. Le new yorkais Corbin Rednour appelle le pixel art du “néo-pixelisme”. Je trouve ce terme intéressant, car il va plus loin que l’expression “pixel art”. Le point commun entre les pixel artistes est l’importance symbolique accordée au passage sur toile d’une image numérique. 

Nicolas Jesbac, Femme au Sourire, 2019

Qui sont tes pixel artistes de référence ?


Mon artiste préférée est Isabelle Scheltjens, une hollandaise qui travaille avec du verre chauffé. Elle joue avec les formes, les tailles, la grille, la luminosité, les jeux de couleurs.


Actuellement, je suis très inspiré par Hélio Bray. Je suis intéressé par le rapport qu’il met en place entre l’arrière-plan très graffiti (il est initialement street artist) et la figure au premier plan. Il me guide vers le posca sur le travail des lignes. Il y a aussi Seaty, un graffeur français qui joue beaucoup avec les couleurs et crée des portraits ethniques. J’aime son jeu entre le gris d’arrière-plan et la vibrance de ses couleurs. Le contraste entre des gestes impulsifs et le détail précis du pixel art me passionne. 

 

Qu’est-ce qui t’attire dans cette idée de geste minutieux inhérent au pixel art ?

 

J’ai eu, au début, une approche traditionnelle de l’art, c’est-à-dire que l’art est ce que la main crée, contrairement à ce qui est digital. Puis j’ai découvert que ça pouvait être un art à part entière. Quoi qu’il en soit, je me suis construit avec l’idée que le travail de la main était essentiel en art, et notamment en ce qu’il crée un rapport concret avec la présence de l’humain derrière l'œuvre. Le travail humain est donc visible à travers le geste et toute son imperfection inhérente. 

 

D’où vient cette envie de faire un contrepied au tout numérique ?

 

Il y a de l’appréhension, notamment vis à vis de l’encadrement des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle. J’ai peur que ça aille trop vite, trop loin. Ce que je fais permet de prendre le temps. Il faut accepter la technologie sans la laisser complètement envahir notre quotidien.

 

Pourquoi as-tu choisi le portrait ?


Tout simplement parce que le portrait permet de s’identifier. J’ai déjà fait un peu d’abstrait, mais le portrait permet de raconter une histoire. En tant qu’homme métisse homosexuel, je suis également engagé dans des combats sociaux. J’ai par exemple réalisé que je n’avais pas peint un seul homme blanc, tandis que les noirs et les asiatiques sont sous-représentés en peinture. Il y a donc la volonté de mettre l’humain au centre à travers le geste et le sujet pictural.

 

Le pixel quant à lui questionne l’identité. Il déforme l’image et trouble le rapport à l'identité dans la société, au droit à l'image. Je me suis également intéressé au rapport entre l’art et la censure, notamment dans une série érotique suggérant une scène pixellisée que seule l’imaginaire de celui qui sait ce qui se cache derrière peut deviner. Le pixel art questionne ce qui est montré, ce que l’on voit, et ce que l’on veut voir. 

Nicolas Jesbac, K. Noir, 2022

Quel est ton processus de création ?


En ce moment, je travaille une série générée par IA (Bing), que je réalise ensuite en peinture. Habituellement, je pars de mes photos ou de photos Instagram pour lesquelles je demande l’autorisation. On est bombardés d’images sur les réseaux sociaux, parfois il y en a une qui me touche particulièrement et j’ai envie de me la réapproprier par la peinture. Il y a aussi la base de données de photos de mon partenaire qui a fait le tour du monde pendant 10 ans. Ce sont des images de communautés, c’est de là que vient ma série femmes du monde, des portraits de femmes africaines. 

 

J’ai également expérimenté divers procédés tels que la réalité augmentée, la peinture ultraviolette, la phosphorescence… J’aime les expériences où l’on cherche ce que l'œuvre peut donner à voir en prenant son temps. Le pixel art prône la lenteur et la contemplation.


Combien de temps mets-tu à réaliser une toile de pixel art ? 

 

Concernant mon temps de création, il n’y a pas de règles. Parfois je peins 18h sans arrêt, parfois je mets plus d’un mois à finir une toile. Mes peintures sont comme un sudoku, ou du code, lorsque je réalise qu’il y a un “bug”, je dois remonter à la source de cette erreur car chaque pixel a un impact sur les suivants.

Quels sont les livres qui t’ont façonné ?

 
Il y a évidemment les ouvrages de Pastoureau. L’étonnant pouvoir des couleurs de Jean Gabriel Cos sur l’importance des couleurs au quotidien d’un point de vue psychologique. Penser la pornographie, par Ruwen Ogien, au sujet de la censure dans l’art. 


Si tu devais définir ton travail en 3 mots ? 

 

Couleur : ce sera toujours le cœur de mon travail.

Harmonie : l’agencement de petits pixels qui forment un tout cohérent.

Point de vue : la position physique du spectateur influence la perception de l'œuvre, selon que l’on est près ou loin, la lisibilité change. 

Nicolas Jesbac, Brown Skin Girl, 2022

Et si tu devais ne garder que l’une de tes œuvres, laquelle serait-elle ? 


Brown Skin Girl, car cette œuvre incarne un virage dans ma vie. C’est la première œuvre que j’ai réalisée après mon déménagement de Paris à Toulouse. Elle marque aussi un tournant dans ma pratique artistique. Il y a un avant et un après, j’ai joué avec le pixel et l’arrière-plan d’une manière nouvelle. Cette peinture m’a aussi lancé dans le posca. Je me suis aussi libéré de l’application des théories de la couleur , mon geste était plus émancipé. 

 

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Cover © Nicolas Jesbac, Precious (2019) ; Hill (2020) ; Femme au sourire (2019)