Jean-Michel Basquiat en 5 oeuvres phares

Publié le 13 Apr 2023

Pionnier de la période “underground” du New-York des années 1980, la brève mais incandescente existence de Jean-Michel Basquiat a marqué à tout jamais l’histoire de l’art. Né en 1960 d’un père haïtien et d’une mère portoricaine, le jeune prodige de la peinture a bousculé le post-expressionnisme en insufflant un vent nouveau, fait d’une fusion entre la peinture, le collage et les graffitis. Retour sur l’ère Basquiat en 5 œuvres phares !

Artist Jean-Michel Basquiat in his Lafayette Street studio, 1985 © Lizzie Himmel for New York Times Magazine

Qui était Jean-Michel Basquiat ? 

Dix années seulement se sont écoulées entre ses premiers tags sur les murs de Manhattan en 1977 jusqu’à sa mort en 1988. De graffeur poétique et fauché sous le pseudo SAMO© (pour « Same Old Shit ») à celui de peintre reconnu, Basquiat est parvenu à briser le plafond de verre surplombant les Afro-Américains - et le street art. 

L’un des rois de l’art contemporain n’a pas connu les bancs des écoles d’art, mais issu de la classe moyenne noire, il fréquente régulièrement les musées grâce à sa mère. C’est elle, aussi, qui lui offrira un livre d'anatomie dont l’influence résonnera durant toute sa carrière, Gray’s Anatomy

À cheval entre plusieurs cultures et plusieurs classes sociales, Basquiat a le goût de la dénonciation et de la provocation. Il représente les oubliés de l’art, les Noirs, exalte les grands noms tels que Cassius Clay. Approché par les marques de luxe, l’artiste n’hésite pas à se montrer pieds nus. Sa profonde aversion pour le racisme teinte son oeuvre néo-expressionniste d’une angoisse existentielle. 

« Je ne suis pas un artiste noir. Je suis un artiste. »

 

Irony of the Negro Policeman, Jean-Michel Basquiat, 1981

Irony of the Negro Policeman, Jean-Michel Basquiat, 1981

La critique des tensions raciales par Basquiat n’était pas unilatérale, comme en témoigne “L’ironie du policier noir”. S’il peut évoquer les violences policières subies par les afro-américains, ce tableau fait office de miroir brandi au visage de ses compatriotes noirs. En effet, Basquiat pointe du doigt l’ironie d’une situation consentie par les noirs.

Contrôlés par la majorité blanche, ils ont accepté d’endosser des rôles stéréotypés, tels que celui du “flic noir”, et de faire régner un ordre par définition injuste envers les noirs. “Pion”, une inscription en bas à droite du tableau atteste de l’opinion du peintre envers ces personnages. Leur complicité avec les institutions est pour Basquiat une hérésie.

La silhouette noire est imposante mais fragmentée, le chapeau est autoritaire mais criblé de barreaux, illustrant la rupture communautaire et l’emprisonnement de la psyché de cet anti-héros. Tiraillé entre son désir d’être reconnu dans un monde de l’art blanc et celui d’être intègre vis à vis de ses racines, Basquiat pourrait projeter dans ce policier son propre dilemme éthique.

Untitled, Jean-Michel Basquiat, 1982

© 2017 The Estate of Jean-Michel Basquiat / ADAGP, Paris / ARS, via Sotheby's

Le tableau sans titre de Jean Michel Basquiat a été acquis par le collectionneur japonais Yusaku Maezawa pour la somme record de 110,5 millions de dollars en mai 2017 chez Sotheby’s à New York. L'œuvre avait été vendue pour 4000 dollars en 1982. L’explosion du prix s’explique notamment par le regain d’intérêt notable du marché de l’art envers les artistes afro-américains. On parle de “renaissance noire”, et Basquiat ne déroge pas à la règle. 

1982 fut particulièrement prolifique pour le peintre, année de création de la majorité de ses œuvres à succès aux enchères.

Cette œuvre sans titre représentant un crâne est aussi l’une des plus emblématiques de Basquiat. On y retrouve l’ensemble des éléments emblématiques de son style : plusieurs couches de peinture, une effusion de couleurs vives, la fascination du peintre pour le corps humain et la mort, des références à ses origines ethniques et culturelles.

Dos Cabezas, Jean-Michel Basquiat, 1982

Dos Cabezas, Jean-Michel Basquiat, 1982

C’est à l’automne 1982 que Basquiat rencontre Warhol à la Factory, grâce au galeriste Bruno Schofberber. Invité pour une séance photo, Basquiat finit par poser aux côtés de son confrère artiste qu’il ne connaît pas encore mais admire déjà. La rencontre à peine terminée, Basquiat s’éclipse pour peindre son impression sur le vif, donnant vie à “Dos Cabezas” (deux têtes en espagnol), représentant Warhol et lui-même. Warhol reçoit la toile encore humide et constate, bluffé, le talent du jeune peintre. C’est le début de leur amitié aussi étonnante qu’iconique. Dès 1984, les deux artistes se mettent à peindre à quatre mains.

“Le plus souvent, c'est lui qui commençait le tableau. Il y plaçait quelque chose de très concret ou de très reconnaissable comme, un gros titre de journal ou un logo puis je devais en quelque sorte le dégrader ou l'abimer et m'efforcer de l'inciter à reprendre ce travail. Ensuite, je le retravaillais.” 
Basquiat

Les critiques s’en donnent à coeur joie : Warhol profiterait de la popularité de Basquiat pour redorer son image tandis que Basquiat utiliserait son aîné pour poursuivre son ascension. La réalité est toute autre, et le duo l’a parfaitement prouvé par son intense collaboration. De 1984 à 1985, ils produisent environ 160 œuvres ensemble, mêlant leurs univers entre sérigraphie, peinture et graffiti

Avec “Basquiat x Wahrol, à quatre mains”, la Fondation Louis Vuitton à Paris leur consacre une exposition majeure d’avril à août 2023. Plus de 300 oeuvres dont 80 communes et d’autres travaux du downtown New-Yorkais des années 1980 font de cette rétrospective un événement à ne pas manquer. 

Hollywood Africans, Jean-Michel Basquiat, 1983

Hollywood Africans, Jean-Michel Basquiat, 1983

Hollywood Africans a été peinte lors d’une visite de Basquiat à Los Angeles en 1983. Autobiographique, cette toile au fond jaune met en scène Basquiat, le rappeur Rammellzee et le peintre Toxic. D’autres notations personnelles y figurent, notamment sa date de naissance (12, 22, 60). 

Mais cette toile est célèbre pour ses phrases telles que « Canne à sucre », « Tabac », « Gangstérisme » et « Qu’est-ce que Bwana ?». En effet, Hollywood Africans fait partie d’une série de peintures dans lesquelles Basquiat s’attaque aux stéréotypes dans lesquels sont cantonnés les afro-américains, par exemple à travers des rôles limités dans les films de l’âge d’or hollywoodien. Ce tableau épingle le racisme ordinaire de son temps.  

Au sujet de sa manie consistant à rayer des mots, Basquiat expliquait : « Je raye les mots pour que vous les voyiez davantage ; le fait qu’elles soient obscurcies donne envie de les lire.»

Riding with death, Jean-Michel Basquiat, 1988

Riding with death, Jean-Michel Basquiat, 1988

Achevée peu avant sa mort en 1988, Riding with Death est l’une des dernières toiles de Basquiat. La profusion de couleurs et de symboles qui faisaient sa signature laissent place ici à un fond beige uniforme sur lequel deux silhouettes se dessinent : un homme noir chevauchant un squelette. Le squelette à quatre pattes dévisage le spectateur du fond de ses orbites vides, tandis que le corps humain le surmontant semble se décomposer, dos à nous.

La composition de cette peinture serait inspirée d’un dessin de Léonard de VinciDeux allégories de l’envie, peint en 1490. En effet, Basquiat admirait l'œuvre du grand maître de la Renaissance. Toutefois, l’envie, eros, a déserté sa toile pour laisser champ libre à la mort, thanatos. 

On y retrouve certains de ses thèmes phares, la question raciale et la mort, ainsi qu’un style particulièrement naïf voire primitif. Basquiat se joue des étiquettes apposées à son art en allant jusqu’à la caricature avec cette image se rapprochant de l’art rupestre ou de l’art tribal africain.

Profondément affecté par la perte de son cher ami Andy Warhol quelques mois plus tôt, cet autoportrait annonciateur de Basquiat illustre le fait que désormais, il fera cavalier seul. Toujours empli de sarcasme, le jeune peintre prodige semble aller jusqu’à moquer la mort qu’il chevauchera à l’âge de 27 ans seulement, des suites d’une overdose dans son studio. 

 

Malgré son décès prématuré, l’artiste prolifique laisse derrière lui une œuvre de plus de 800 tableaux et 1500 dessins. Ses peintures n’ont plus d’underground que leur origine, car aujourd’hui plus que jamais, Basquiat fait vriller le marché de l’art.

Cover © Fondation Louis-Vuitton, Paris XVIe, le 29 mars. AFP/Bertrand Guay