Les jeunes artistes femmes ont le vent en poupe !

Publié le 08 Mar 2023

Sur le marché des enchères, les jeunes artistes femmes explosent les scores, comme en atteste le rapport d’octobre 2022 d'Artprice. Dans son étude du marché de l’art “ultra-contemporain”, le premier semestre 2022 a atteint un “sommet historique”, avec un chiffre d’affaires de 200,9 millions de dollars.

Mais ce qui a retenu notre attention, c’est la présence de noms plus féminins qu’à l’accoutumée. Dans ce palmarès, 7 sur les 10 artistes de moins de 40 ans classés par produits de vente aux enchères sont des femmes !

Cette place croissante accordée - ou prise - par les femmes s’accompagne de cotes en ascension explosive. Miroir de l’évolution de nos sociétés, la féminisation de la sphère de l’art vient rétablir une sous-représentation qui a trop longtemps duré.

Stratégie assumée par certaines sociétés d’enchères, meilleure visibilité de ces créatrices grâce aux nouveaux canaux de diffusion digitaux, engagement des collectionneur·se·s… Une nouvelle conjoncture permet d’affirmer que pour la première fois dans l’histoire “les artistes femmes sont majoritairement plus performantes (CA) et plus valorisées (niveaux d’adjudication) que les hommes”.

Nous avons dressé le portrait de ces 7 artistes prometteuses, toutes nées après 1980, et peintres. Elles incarnent les espoirs d’un renouveau tout en véhiculant leur propre vision singulière et féminine de l’art au 21e siècle.

Ayako Rokkako (1982, Japon)

Ayako Rokkaku in her studio. Image courtesy of Avant Arte; © Natsuki Ludwig.

Qui a dit que l’art devait être sérieux ? Certainement pas Ayako Rokkako, qui s’étonne toujours de son succès sur le marché de l’art. La native de Chiba (à l’ouest de Tokyo), ne peignait d’abord que pour son plaisir. C’est en constatant la joie qu’elle pouvait transmettre à travers ses toiles qu’elle décida d’en faire sa carrière. 

Ses toiles instillent une liberté et une imagination enfantine, notamment incarnée par l’usage de ses doigts à la place de simples pinceaux. Gaieté, innocence et optimisme s’en dégagent à travers des tons chauds et des personnages au style manga, fondus dans un océan chatoyant et abstrait. Pas étonnant donc que son art soit le parfait mélange de ses deux sources d’inspiration majeures : l’abstraction américaine (Jackson Pollock, Cy Tombly), et la culture kawaii nipponne.

Pour elle, la peinture peut s’émanciper de la narration pour n’exister qu’en tant que source d’énergie. Sa peinture spontanée et son style naïf en attestent : elle a su se reconnecter à son enfant intérieur.

Classée 78e sur 100 au palmarès mondial des artistes les mieux vendu·e·s aux enchères, la jeune artiste japonaise figure également en 2e position du classement des artistes de moins de 40 ans, derrière le défunt sino-canadien Matthew Wong. C’est aussi la plus vendue des artistes japonaises de sa génération.

Flora Yukhnovich (1990, Angleterre)

Flora Yukhnovich in her London studio, February 2022. Photo: Eva Herzog © Flora Yukhnovich. Courtesy the artist and Victoria Miro.

Née en 1990 à Norwich en Angleterre, la jeune peintre Flora Yukhnovich compose des toiles presque abstraites, dans un style inimitable inspiré de toiles historiques. L’artiste, qui vit et travaille à Londres, a étudié le portrait à la Heatherley School of Fine Art avant de poursuivre sa formation à la City & Guilds of London Art School.

Sa liberté créative l'émancipe de sa formation académique. Lorsqu’elle crée des scènes dignes de François Boucher ou Jean-Honoré Fragonard, l’influence Rococo est métamorphosée à travers ses coups de pinceaux résolument contemporains. Elle explore les jeux de texture de la peinture dans des compositions sensuelles et féminines, à l’atmosphère florale.

"Je pense que ce que je trouve vraiment gratifiant dans le fait de travailler à partir de vieilles peintures, c'est le moment où tout s'assemble et où l'on a l'impression de reconnaître le tableau. C'est un sentiment étrange et instinctif [...] comme embrasser un vieil ami." 
Flora Yukhnovich pour Apollo Magazine, 2020

Flora Yukhnovich connaît une ascension fulgurante sur le marché de l’art grâce aux collectionneur·se·s. En juin 2021, elle faisait déjà flamber les enchères chez Philips avec Pretty Little Thing (2019), vendue pour plus de 12 fois son estimation initiale, à près de 1,2m$. En octobre 2021, une de ses toiles vendues chez Sotheby’s Londres est vendue à 3m$ pour une estimation à 109 000 $... Et ce n’est pas prêt de s’arrêter !

Avery Singer (1987, Etats-Unis)

Avery K Singer, picture from Tropical Cream

Avery Singer est bien une artiste de son temps. Née en 1987 à New York, la jeune américaine mêle l’esthétique du numérique à la peinture acrylique. Dans ses toiles d'influence constructiviste, futuriste ou cubiste - souvent en noir et blanc - la technologie de la modélisation 3D perturbe le regard. Difficile au premier coup d'œil de dire qu’il s’agit d’une simple toile. Elle interroge ainsi sur la façon dont le numérique a envahi notre réalité et changé notre vision sur le monde qui nous entoure. Entre l’abstraction et la figuration, le digital et l’analogique, l’humain et le robot… Avery Singer explore les nuances de notre siècle et la transition qui s’opère en direct.

Baignée dans les arts dès le plus jeune âge par ses parents artistes, elle s’essaie d’abord à la photographie, à la vidéo, à la performance ou au dessin, sans s’imaginer peintre. Après son diplôme, elle découvre l’outil Google SketchUp et l’aérographe : c’est la révélation qui deviendra la signature de son style. La trace de la main de l’artiste disparaît alors complètement de la toile, artiste qu’elle parodie au sein-même de ses sujets picturaux.

Avery Singer tient la 5e position du classement des moins de 40 ans. Sa cote ne cesse de grimper depuis 5 ans, jusqu’à l’inscrire dans le top 10 des records historiques aux enchères des artistes de moins de 35 ans avec l'œuvre Untitled (2018), vendue à plus de 4m$ en juin 2021 à New York. 

María Bérrio (1982, Colombie)

María Berrío photographed by Jai Lennard

Basée à Brooklyn, María Berrío est une peintre colombienne née en 1982. Méticuleusement fabriquées à partir de couches de papier japonais, de peinture, de sequins et d’autres matériaux, les oeuvres de l’artiste évoquent les liens interculturels et la question de la migration au prisme de sa propre histoire. Rêves, mythes et contes s’enchevêtrent sur ses toiles souvent incarnées par des figures féminines, mais aussi une forte présence du monde végétal et animal, réel ou imaginaire. Ces espaces apparaissent comme des refuges utopiques - souvenir du folklore sud-américain, dans lequel la nature et les humains cohabitent harmonieusement. Sur cette toile de fond, María Berrío représente néanmoins la dureté de la politique contemporaine, comme la politique de séparation des familles de Trump ou l’expulsion des migrants. À propos des femmes qui figurent dans son œuvre, l'artiste déclare : 

"Elles incarnent les idéaux de la féminité. La pâleur fantomatique de leur peau suggère un autre monde ; elles semblent être plus spirituelles que charnelles. Ce sont les femmes que je veux être : fortes, vulnérables, compatissantes, courageuses et en harmonie avec elles-mêmes et avec la nature. Elles combinent les éléments des femmes que l'on considère généralement comme puissantes - les capitaines d'industrie, les politiciennes résolues, les militantes ardentes - avec les traits de celles que l'on ne considère pas habituellement comme telles, soulignant ainsi la force commune que l'on trouve chez toutes les femmes. La femme soldat qui se bat sur le front est intéressante, mais la mère qui trouve le moyen de nourrir ses enfants et de les endormir en chantant au milieu des campagnes de bombardement et dans les ruines des villes l'est tout autant. Pour véritablement ennoblir la féminité, nous devons découvrir et apprécier la beauté dans chaque action, grande ou petite.'' 
María Bérrio, Georgia Review, 2019.

María Bérrio figure en 7e position du classement avec plus de 7m$ de produits de ventes pour 7 lots et 0 invendus. 

Anna Weyant (1995, Canada)

Anna Weyant, courtesy of the artist

Plus jeune artiste à avoir intégré la galerie Gagosian, la peintre canadienne Anna Weyant se joue de la représentation féminine en s’inspirant de la peinture des maîtres flamands (Rubens, Rembrandt…). Empreinte de son female gaze, l’artiste subvertit des peintures historiques ou des images issues des médias. La femme y est dépeinte sous des traits étranges, presque grotesques, aux visages distordus, dans des scènes tragicomiques. Aux antipodes de l’hypersexualisation classique de la femme, son iconographie fait basculer les personnages féminins dans une nouvelle ère. 

Anna Weyant est née à Calgary, en Alberta. Elle a obtenu un baccalauréat en beaux-arts à la Rhode Island School of Design en 2017, où elle a étudié la peinture, avant de s’installer à New York.

En 8ème position du classement, Anna Weyant a elle aussi déjoué les prédictions en vendant aux enchères des œuvres à plus de 8 fois leur estimation, à l’instar de The Now (2020), adjugée à 1,6m$ au lieu des 200 000 $ attendus.

Christina Quarles (1985, Etats-Unis)

Christina Quarles in her studio. Photo by Tara Darby. Courtesy the artist and Hauser & Wirth.

Née en 1985 à Los Angeles, Christina Quarles suit des cours de dessin très jeune, une compétence qu’elle consolide à la Los Angeles County High School for the Arts. Après son diplôme au Hampshire College, elle a travaillé dans le domaine de la conception graphique.

Inspirée par des artistes tels que David Hockney et Philip Guston, elle construit son style pictural autour du corps. Les corps fracturés et enchevêtrés des peintures de Christina Quarles explorent l'identité, la perspective de soi, le corps sexué et racialisé dans le contexte social actuel en pleine mutation. Par la représentation simultanée de plusieurs perspectives, la lecture définitive de l'œuvre est déjouée. Les personnages sont contorsionnés, morcelés, repliés sur eux-mêmes. Les membres se mêlent dans un méli-mélo ponctué de couleurs vibrantes. Christina Quarles intègre la technologie dans ses toiles par l’insertion de motifs et de textures générées par ordinateur et laser. 

Moins prolifique que ses consoeurs, elle figure toutefois en 9e place du classement avec près de 5,5m$ de ventes pour 3 lots et 0 invendus.

Loie Hollowell (1983, Etats-Unis)

Loie Hollowell in the studio. © Loie Hollowell, courtesy Pace Gallery. Photo: Melissa Goodwin

Diplômée en arts de l'Université du Commonwealth de Virginie, l’artiste originaire du Minnesota apprend à peindre auprès de son père. D’abord attirée par les autoportraits, Loie Hollowell connaît un tournant vers l’abstraction après une IVG. Une expérience qui se traduit dans ses œuvres par des suggestions à cheval entre la spiritualité et la sexualité. Inspirée des traditions de la peinture tantrique (Ghulam Rasool Santosh, Biren De), elle est souvent comparée à Georgia O’Keeffe pour ses analogies picturales vulvaires. Les organes sexuels féminins rencontrent dans ses œuvres une cosmologie et un symbolisme mystique, notamment au travers des formes de la mandorle et de l’ogee.

Elle manipule avec brio la lumière pour jouer avec les ombres et donner l’illusion de tridimensionnalité sur la surface plane de la toile. Sa palette vibrante et ses formes souples donnent vie à une vision aussi personnelle qu’universelle des sensations de la grossesse et de la naissance. Martha Schwendener (The New York Times) décrit sa peinture comme des “paysages corporels abstraits”. 

Loie Hollowell clôture ce classement du top 10 des artistes de moins de 40 ans les plus vendu·e·s. Depuis 2016, sa cote a explosé de 1200%...

Un exemple flagrant de l’incroyable épopée vécue par quelques artistes femmes ces dernières années. Une tendance qui a l’air de convertir de plus en plus de collectionneur·se·s avides de nouveauté et enclin·e·s à soutenir la création féminine, si longtemps écartée, et une excellente nouvelle pour le monde de l’art et son cheminement vers plus de parité


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Cover : Artist Ayako Rokkaku painting at Gallery Delaive at the Volta Fair 2020, © Image by Cid Roberts