Mark Rothko en 5 œuvres clés

Publié le 16 Feb 2024

Figure de proue de l’expressionnisme abstrait, Mark Rothko a marqué l’histoire de l’art grâce à ses grandes toiles méditatives. Peintre d’après-guerre enclin à l’extase mystique, il a laissé derrière lui une œuvre hypnotique, spirituelle, vouée à l’émotion pure. Découvrez Mark Rothko à travers le décryptage de 5 de ses œuvres clés ! 

Biographie : qui était Mark Rothko ?

Né en 1903 en Lettonie sous le nom de Markus Yakovlevich Rotkovičs, Mark Rothko est l’un des représentants les plus influents de l’expressionnisme abstrait américain. Une étiquette que le célèbre peintre réfutait, la jugeant aliénante. Cependant, son rôle et son influence dans l’art abstrait demeurent irréfutables. 

 

Mark Rothko, juif émigré aux Etats-Unis

 

Son émigration aux Etats-Unis en 1913, alors âgé de 10 ans, Mark Rothko la doit à son père. Il initie ce départ afin d’éviter à ses fils de rejoindre de force l’armée impériale russe. Installé à Portland, il étudie d’abord à la Lincoln High School puis à Yale grâce à une bourse. Il abandonne l’université pour suivre les cours d’Arshile Gorky à la Parsons New School for Design de New York, ce qui l'imprégnera durablement. Il débute en tant que professeur de dessin pour les enfants au Jewish Center de Brooklyn. En 1934, il fonde l’Artist Union de New York, puis côtoie les grands artistes de l’Ecole de New York tel que Jackson Pollock.

Mark Rothko (assis au centre) entouré de sa famille

L’émancipation de Mark Rothko et la naissance du colorfield painting 

 

Ce n’est qu’en 1940 qu’il décide de se faire appeler Mark Rothko, deux ans après avoir obtenu la nationalité américaine dans le contexte de la menace nazie. C’est également durant cette période qu’il s’émancipe de l’influence de l’action painting de l’expressionnisme abstrait américain et du surréalisme. Il rompt totalement avec la figuration pour se consacrer aux champs colorés vibrants que le critique d’art américain Clément Greenberg baptise “Color Field Painting”. Mouvement auquel appartiennent également les artistes Barnett Newman ou Clyfford Still

 

Mythologie et tragédie, les influences intellectuelles de Mark Rothko

On retrouve parmi ses influences notables la mythologie grecque, la psychanalyse de Freud et de Jung à propos des rêves et archétypes ou encore la compréhension de la spiritualité de l’homme moderne avec La Naissance de la tragédie de Nietzsche. Ces différents pans intellectuels se rejoignent en une idée forte pour Mark Rothko : l’imaginaire collectif de l’Homme moderne a besoin de renouer avec la mythologie pour libérer ses énergies inconscientes. C’est pourquoi le peintre, se considérant comme un “faiseur de mythes”, affirmait que la seule source d’art valable est le tragique

« Je suis devenu peintre car je voulais élever la peinture
au même degré d'intensité que la musique et la poésie. »

Mark Rothko

Portrait de Mark Rothko

Mark Rothko, un peintre en quête de spiritualité 

 

Prolifique, il a peint plus de 800 tableaux dont la moitié relève du colorfield. Dans ses toiles, la couleur et l’émotion priment. De grands aplats aux contours flous, sous forme de monochromes, de bandes ou de rectangles, créent une profondeur étonnante. Par son absence de distinction entre figure et fond, la série des Multiformes en est emblématique. L’objectif de Mark Rothko était d’explorer la spatialité et la couleur. En liant abstraction et spiritualité, il entend provoquer une expérience spirituelle sensible. Et par-dessus tout, il refusait que son art soit associé à des fins décoratives et purement esthétiques. 

 

« Parce que, comme il dit, il peint les émotions humaines fondamentales, la tragédie, la mort, l’extase. C’est universel, intemporel. Cette œuvre vous met face à vous-même. Je pense que l’on ne peut pas y échapper. D’abord parce qu’elle a quelque chose de très sensuel, jouissif, une séduction qui rend captif. Dans laquelle, il le revendique, il a mis le maximum de violence. »

Suzanne Pagé, Historienne de l'art

Mark Rothko dans son atelier

Fin de carrière et renommée

 

Dans les années 1950, sa carrière prend son envol grâce au collectionneur Duncan Phillips qui lui achète plusieurs toiles et lui consacre une salle entière, faisant honneur au souhait de Mark Rothko : que ses œuvres puissent être vues seules, sans autre distraction dans la pièce. Dans les années 1960, il enchaîne les grandes commandes emblématiques, de l’université d’Harvard à la chapelle de Houston. Les années passent, et ses toiles s’assombrissent. Les couleurs vives de ses débuts laissent place à des rouges profonds, des bruns. 

 

La fin de sa carrière est freinée par la maladie qui l’empêche de peindre librement et une reconnaissance en baisse. Mark Rothko se suicide en 1970 à New York à l’âge de 66 ans.

 

Bien qu’ayant été reconnu de son vivant, c’est de manière posthume que son œuvre connaît le plus grand succès. Sa cote explose : il atteint les 87 millions de dollars en 2012 avec Orange, Red, Yellow (1961). Les rétrospectives se multiplient : au Musée d’art moderne de Paris en 1999, au Tate Modern de Londres en 2008 ou à la Fondation Louis Vuitton de Paris, l’exposition à ne pas rater ce moment.

Mark Rothko en 5 oeuvres clés

 

Plongez dans l'oeuvre de Mark Rothko à travers une sélection de 5 oeuvres clés de sa carrière !

 

Mark Rothko, Untitled (The Subway), 1937

Mark Rothko, Untitled (The Subway) (Subway Station), 1937, 61.0 x 91.4 cm, Elie and Sarah Hirschfeld © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko – Adagp, Paris, 2023, Photo © Glenn Castellano, New-York Hitorical Society

Célèbre pour son art abstrait, Mark Rothko a également été un peintre figuratif. Résidant à New York, la vie trépidante de la Big Apple le fascine. Les toiles qu’il peint dans les années 30 font référence aux lieux emblématiques de la ville : ses théâtres, ses cinémas, sa vie nocturne… Et son métro.

 

L’urbanisation et la modernisation enferment ses sujets dans des lignes de fuite serrées, isolant ses protagonistes. Les teintes sont plutôt sombres et terreuses, l’absence de visages et de détails préfigure son attrait pour l’abstraction et une spiritualité universelle.

Mark Rothko, Slow Swirl at the Edge of the Sea, 1944

Mark Rothko, “Slow Swirl at the Edge of the Sea” (1944). © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko - Adagp, Paris, 2023.

Inspiré par le surréalisme et la psychanalyse, Mark Rothko peint dans les années 40 des toiles influencées par De Chirico, Ernst ou Miro. Pas de plus vers l’abstraction, les formes sont ici éclatées, la perspective disparaît. Il compose des scènes où s’entremêlent créatures fantastiques, végétation luxuriante et arabesques.

 

On devine dans Slow Swirl at the Edge of the Sea deux silhouettes abstraites, car comme le disait le peintre, il lui est impossible de peindre la figure humaine sans la mutiler. Cette toile serait l’une des préférées de Mark Rothko car selon son fils, elle représente son père et sa mère à la plage. L’éclatement de la figuration lui permet de tendre vers son objectif d’universalité, une fois de plus.

Mark Rothko, Violet, Black, Orange, Yellow on White and Red (1949)

Mark Rothko, Violet, Black, Orange, Yellow on White and Red (1949)

Nous entrons maintenant dans l’ère emblématique de Mark Rothko, celle de l’abstraction pure. A partir de 1949, le peintre retire tout signifiant et toute figuration de ses toiles. Les titres deviennent absents ou descriptifs, numéraires. C’est également l’entrée en scène de sa gamme de couleurs chaudes, qui serait inspirée du fauvisme et de l'œuvre de Matisse, notamment L’Atelier rouge (1911). Ses grands aplats rectangulaires font table rase des codes de la peinture. Ils sont ici encore multiples, ils ne feront que diminuer au cours de sa carrière pour atteindre la plus grande épuration.

Mark Rothko, Orange, Red, Yellow (1961)

Mark Rothko, Orange, Red, Yellow (1961)

En 2012, l'œuvre contemporaine la plus chère était un Rothko. Orange, Red, Yellow a battu le propre record aux enchères de l’artiste. Les 72 millions de dollars adjugés pour White Center en 2007 ont laissé place aux 86,9 millions de cette toile peinte en 1961, dépassant ainsi le record alors détenu par le Triptyque de Francis Bacon, vendu à 86,3 millions de dollars. 

 

Les couleurs chaudes et vibrantes - en particulier le rouge, qu’il affectionnait tant - les aplats rectangulaires, une narration sous-jacente tragique… Tous les éléments caractéristiques de la peinture de Mark Rothko sont ici réunis avec intensité. Orange, Red, Yellow reflète la maturité de son style artistique.

Rothko Chapel, 1971

La Chapelle Rothko à Houston (Texas). Elizabeth Felicella © 1998 Kate Rothko Prizel & Christopher Rothko - Adagp, Paris, 2023. Photo : Elizabeth Felicella

La Rothko Chapel, construite à Houston au Texas en 1971, est son ultime chef-d'œuvre. Ce lieu, abritant quelque 14 tableaux, constitue l’écrin idéal de contemplation de son travail. Sobre, méditatif, il invite à l’épiphanie. De forme octogonale, le bâtiment est agrémenté d’un puits de lumière central. 

 

A l’intérieur se trouvent les toiles monochromes de Mark Rothko, qui a ici abandonné ses couleurs chatoyantes au profit d’un noir profond aux reflets violacés. Temple d’art contemporain, il a surtout été pensé comme un lieu de recueillement où chaque personne, religieuse ou non, peut vivre une expérience spirituelle au-delà des mots.

 

« Ce serait bien que l’on puisse construire partout dans le pays des lieux, des sortes de petites chapelles, dans lesquelles un voyageur ou un promeneur pourrait longuement méditer sur un unique tableau accroché seul dans une petite salle. »
Mark Rothko

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